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Causerie

Que les hommes sont donc des animaux bizarres ! Voici maintenant que nous sommes las du beau temps, du soleil vermeil et du ciel bleu. Le matin, au lever, chacun interroge l'horizon anxieusement, Et c'est presque avec rage que nous constatons l'immaculée splendeur de son azur. L'humaine nature est ainsi faite : elle aime le changement. Le bonheur même, quand il est toujours pareil, lui devient insupportable, et c'est vraiment une vérité de sens commun que le vers classique :

L'ennui naquit un jour de l'uniformité.
Il est de fait que ce beau fixe commence à exaspérer tout le monde. Remarquez que si nous avions la pluie seulement pendant huit jours, les mêmes qui la réclament quotidiennement seraient les premiers à la maudire. Il n'y aurait guère que les paysans pour se frotter les mains s'il survenait une bonne décade où séviraient des ondées ininterrompues. C'est que le ciel inaltérable rend l'agriculture altérée. Chaque jour de plus, dans cette sécheresse, coûte des millions au pays. Les prairies deviennent chauves, les blés jaunissent, et la vigne se flétrit.

Vous souvenez-vous de la jolie pièce : Ce que dit la pluie, dans la Chanson des Gueux, de Richepin :

M'a dit la pluie : Écoute,Ce que chante ma goutteMa goutte au chant perlé.Et la goutte qui chante,M'a dit ce chant perlé.Je ne suis pas méchante,Je fais mûrir le blé.

Donc, appelons de tous nos voeux l'heure où la pluie fera entendre, dans les campagnes avides, sa chanson bienfaisante. A l'heure où j'écris ces lignes, le firmament est sans nuage. Pourtant, j'espère qu'avant le jour où elles paraîtront il nous sera donné de répéter sous l'averse le mot légendaire : Que d'eau! que d'eau ! que d'eau!

Mais ces messieurs de l'Hippique en seraient fort marris. Eux voudraient bien avoir toute la semaine des journées ensoleillées comme celle de dimanche, où se fit leur première avec beaucoup d'éclat. Lyon commence à prendre goût à cette fête équestre. Ceux qui aiment le cheval y trouvent naturellement beaucoup d'intérêt, et les simples profanes peuvent aussi y passer des heures agréables à suivre les péripéties des courses d'obstacles.

Nos officiers sont pour la plupart magnifiques de tenue et de hardiesse. Ils n'ont pas seulement belle mine et l'allure élégante. Leur monte dénote une science profonde de l'équitation, qui n'est pas un art commode. C'est merveille de leur voir aborder l'obstacle et le franchir toujours d'aplomb, si violentes que puissent être les réactions de leur monture.

J'ai entendu l'autre jour un des coureurs faire du haut de la selle un mot plein d'à-propos et surtout joliment placé dans la bouche d'un hussard. C'était un capitaine montant un superbe alezan, rétif en diable. Devant le mur, le cheval s'arrête net et se met à reculer malgré la résistance de son cavalier. Vous reculez, mon capitaine. lui dit en souriant un spectateur de ses amis. Oui, répond l'autre, mais c'est pour mieux sauter! Et attaquant son cheval d'un effort superbe, il l'enleva littéralement par-dessus l'obstacle aux applaudissements du public.

Le concours hippique est encore, à Lyon comme à Paris, une réunion élégante où l'on va pour se montrer, potiner et flirter. L'hippodrome du cours du Midi possède même, à l'exemple, du Palais de l'Industrie, sa « butte aux lapins ». Cette expression imagée s'applique à la tribune où le demi-monde s'exhibe de préférence. On y voit quelques jolies frimousses, beaucoup d'autres qui le sont moins malgré un savant maquillage, et quantité de toilettes éclatantes. C'est le coin le plus froufroutant et le plus... fréquenté du concours.

Il est hors de doute que ces aimables personnes contribuent dans la mesure de leurs moyens — et elles en ont beaucoup ! - à l'amélioration de la race chevaline, en excitant l'émulation des coureurs. Si nos jeunes officiers sautaient la rivière devant une assemblée composée exclusivement du sexe laid, ils y mettraient, la chose est sûre, moins d'amour-propre. Car ainsi que le disait en son langage rococo le brave colonel Fougas, le héros de l’Homme à l'oreille cassée d'Edmond About, dont on vient de tirer une pièce jouée au Gymnase : l'armée se fait honneur de servir à la fois Vénus et Bellone...

Autour de l'emplacement réservé au Concours hippique se sont installées des baraques de vogues. L'une d'elles - un manège de chevaux de bois - est munie d'une boîte à musique qui joue la marche du Tannhoeuser. La chose m'a paru digne d'être notée comme un signe des temps. Avec quel dédain les dilettanti d'aujourd'hui ne condamnent-ils pas les vieux maîtres, Boïeldieu, Ambroise Thomas ou Verdi, en disant : c'est de la musique pour orgues de Barbarie ! Or, voici que Wagner lui-même va devenir chez nous, comme il l'est déjà en Allemagne, la proie des orchestres forains. Ce jour-là ce ne sera plus qu'un dieu tombé...

Tant il est vrai qu'ici bas la mode est souveraine absolue et que rien n'échappe à sa domination capricieuse, la musique pas plus que la crinoline !

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